Le blanchiment d’argent : Les méthodes fascinantes des criminels

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En Espagne, la police vient d’annoncer la saisie de 25 millions d’euros en liquide, marquant l’arrêt du plus grand réseau de blanchiment de fonds d’Europe. Les criminels, qu’ils soient pirates ou trafiquants de drogue, partagent une obsession : masquer l’origine illicite de leur argent. Une tâche qui, selon les idées reçues, implique des manœuvres complexes. Mais est-ce bien le cas ? Après avoir épluché des livres d’experts, des dossiers du FBI et surveillé des forums Telegram, nous avons découvert des méthodes de blanchiment d’argent qui flirtent avec le génie.

Les débuts artisanaux du blanchiment

Si vous êtes une petite frappe de l’arnaque au SMS, recevoir des virements frauduleux pose une question : où donc envoyer l’argent ? Impossible de le transférer directement sur votre compte personnel sans attirer l’attention de la police. Voilà pourquoi les cybercriminels se tournent vers les boucles Telegram, véritables manuels du blanchiment. Première étape : le vol d’identité. Simple et efficace, il suffit de récupérer des photos de pièces d’identité, souvent via des annonces de locations fictives sur des plateformes comme Leboncoin.

Cette technique permet d’ouvrir des comptes en banque sans utiliser son nom réel. Mais face au No Your Customer des banques, exigeant vidéos et selfies, les criminels redoublent d’ingéniosité. Un guide détaille par exemple comment contourner les contrôles d’une néobanque : charger une pièce d’identité volée, un selfie demandé à la victime, puis prétendre que la caméra est cassée pour fournir un justificatif de domicile trafiqué.

Les cartes de crédit pour retirer du cash

Une fois un virement frauduleux reçu sur un bank drop (compte bancaire frauduleux), l’argent doit être retiré rapidement avant que le compte ne soit gelé. Les scammers anticipent en se procurant des cartes de crédit pour retirer du cash, souvent livrées à des adresses inhabitées. Ils repèrent un bien immobilier, mettent leur nom sur la boîte aux lettres, et ouvrent cette dernière avec une clé passe-partout achetée pour quelques euros. Avec cette méthode, ils peuvent engranger chaque mois entre 2000 et 3000 euros en espèces, quasiment introuvables.

Cependant, accumuler des tas de billets sous son lit présente des risques. Les méthodes de stockage, comme enterrer l’argent ou le cacher dans des entrepôts, sont également loin d’être parfaites. Pablo Escobar, le célèbre narcotrafiquant, voyait ses montagnes de cash moisir à cause de l’humidité ou se faire grignoter par les rats.

Justifier l’origine des fonds : faux gains au PMU et fausses ventes aux enchères

Pour contourner la vigilance des banques, les criminels doivent justifier l’origine de leurs fonds. Parmi les techniques, les faux gains au PMU sont très populaires. Francis le Belge, un parrain français, passait ses journées à racheter des tickets gagnants pour ensuite encaisser les gains et obtenir un justificatif de la Française des jeux. En 2017, une bande criminelle a poussé cette méthode à un niveau industriel avec une centaine de complices rachetant des tickets gagnants à l’appel.

Autre méthode encore plus sophistiquée : la fausse vente aux enchères. Imaginez que vous avez besoin de déposer 90 000 euros. Vous mettez aux enchères un objet d’art et un complice surenchérit jusqu’à proposer un prix démesuré. Déduction faite des frais et commissions, vous pouvez désormais justifier un dépôt conséquent. Selon certains experts, le marché de l’art contemporain serait surévalué de 20 % à cause du blanchiment.

Commerce de façade et double comptabilité

Pour donner l’illusion que l’argent est gagné de manière légitime, les criminels ouvrent des commerces de façade : coiffeurs, épiceries, kebabs… Ces établissements, souvent fermés en journée, servent à intégrer discrètement l’argent sale dans les chiffres d’affaires mensuels. Une double comptabilité s’impose : une secrète, distinguant les flux d’argent sale et d’argent propre, et une officielle pour les impôts et l’URSSAF. Attention cependant à la cohérence : un chiffre d’affaires trop élevé par rapport aux charges d’exploitation éveillera vite les soupçons.

Au fil du temps, ces criminels peuvent se constituer un réseau de commerces blanchissant toujours plus d’espèces. Mais si leurs revenus continuent d’augmenter, ils doivent passer à des montages financiers plus complexes.

Les montages financiers pour les grands montants

À mesure que les escroqueries deviennent plus lucratives, les virements de montants importants nécessitent des comptes bancaires traditionnels et crédibles. Les criminels recrutent alors des mules financières, souvent manipulées via des arnaques sentimentales ou de fausses offres d’emploi. Ces mules prêteront leurs comptes pour transférer de l’argent, ignorant souvent qu’elles risquent l’interdit bancaire, de lourdes amendes et même la prison.

Pour des virements importants, utiliser des sociétés écrans est indispensable. Créer une entreprise de manière anonyme, comme aux États-Unis dans le Delaware, où il y a plus de sociétés que d’habitants, est une méthode courante. Un mandataire ouvre un compte bancaire professionnel en France, servant de bank drop crédible. L’argent peut ensuite circuler dans un réseau de sociétés fictives, fractionné et transféré jusqu’à rendre la traque impossible.

Les criminels doivent aussi fournir des faux justificatifs réalistes : contrats, factures, et transactions tests. Dans une banque létonne, des employés corrompus avaient même rédigé un guide de fausse facture pour les nuls, expliquant les erreurs à éviter comme les montants ronds et les conditions de livraison irréalistes.

Le jeu des frontières et des paradis bancaires

Pour compliquer encore plus la tâche des enquêteurs, les criminels exploitent les frontières et les failles dans la coopération internationale. Si Tracfin peut obtenir des informations des banques françaises, il doit faire des demandes de coopération pour les banques étrangères, un process long et fastidieux. Multiplier les franchissements de frontières et passer par des paradis bancaires comme les îles Vierges, où le secret bancaire est absolu, permet de gagner du temps et d’échapper aux poursuites.

Franck Jurado, un économiste génial, a mis au point un des montages les plus sophistiqués pour le cartel de Kali dans les années 80 : 68 banques, 115 comptes dans 16 pays, multipliant les transactions inférieures à 100 000 euros. Sa méthode, bien que découverte suite à une faillite bancaire à Monaco, reste une référence pour les criminels modernes.

En 2020, Europol a démantelé une organisation proposant un service de blanchiment en kit, circulant l’argent via un réseau de sociétés fictives et de comptes à l’étranger. La cavalerie de Jurado, où les montants sont éclatés en une multitude de petites transactions, reste une stratégie redoutablement efficace.

Où cacher son trésor ?

Après avoir fait transiter des centaines de milliers d’euros, la question demeure : où donc cacher cette fortune ? Les paradis bancaires restent la meilleure option. Déposer l’argent sur le compte d’une société écran gérée par un prête-nom permet de profiter de la somme en toute discrétion. Ces sociétés peuvent embaucher leur propriétaire pour des missions de conseil, accordant des avantages en nature comme des véhicules de fonction et des villas au bord de la mer.

En parallèle, ouvrir un compte pour votre entreprise dans un pays proche de la France, comme la Suisse, offre des cartes de retrait anonymes utilisables partout dans le monde. Les 3 500 Français les plus riches cacheraient ainsi plus de 150 milliards d’euros dans ces paradis fiscaux, jouissant de leurs fortunes en toute impunité.

Conclusion : une course-poursuite sans fin

Le blanchiment d’argent est un jeu complexe de cache-cache entre criminels et autorités. Si les méthodes artisanales suffisent pour les petits montants, les grands réseaux exploitent des montages financiers sophistiqués, des sociétés écrans et des frontières internationales pour dissimuler leurs fortunes. Les banques et les agences de lutte contre le blanchiment, bien que de plus en plus vigilantes, doivent constamment s’adapter pour déjouer des techniques toujours plus ingénieuses.

La traque du blanchiment d’argent, c’est celle du chat et de la souris, où chaque avancée technologique ou réglementaire des autorités est contrecarrée par l’ingéniosité des criminels. Les montages financiers, les sociétés écrans, les mules, et les techniques de dissimulation évoluent sans cesse. Cette lutte sans fin exige des moyens colossaux et une coopération internationale sans faille. Et pendant ce temps, les criminels continuent de trouver des moyens de faire disparaître leurs fortunes dans les méandres de la finance mondiale.